HENRI TAME SOUMEDJONG

Dans l’histoire du Cameroun, peu d’hommes incarnent avec autant de force le lien entre nationalisme, résilience et réussite économique que Henri Tame Soumedjong. Son parcours est à la fois une épopée de lutte contre l’oppression coloniale, un exemple rare de réussite industrielle locale, et un triste symbole de la répression politique ciblée.
Une enfance marquée par la douleur et l'engagement
Henri Tame voit le jour le 18 mars 1936 à Bandenkop, dans l’Ouest du Cameroun. Très tôt, il est plongé dans le tumulte de la lutte indépendantiste. Son père, David Soumedjong, militant de l’Union des Populations du Cameroun (UPC), est assassiné par les forces coloniales françaises, jeté vivant dans les eaux du fleuve Noun. Ce drame tragique façonne l’enfance de Henri, orphelin, ballotté entre familles d’accueil, mais habité par une foi inébranlable en la liberté et la justice.
Encore adolescent, il rejoint l’UPC, puis entre dans la clandestinité après la répression sanglante des émeutes de 1955. Il devient rapidement Commandant du "Grand Quartier", organisant la résistance dans les régions de Yaoundé à Djoum, sous plusieurs pseudonymes de guerre : Tamo Henri, Pengoyé, Silla Sékou, Kamga... Il est capturé à Ebolowa, condamné à la prison à perpétuité, mais libéré en 1960 grâce à une loi d’amnistie promulguée par Ahmadou Ahidjo.
De la lutte armée à l’entrepreneuriat
Exilé en Europe, Henri ne baisse pas les bras. Il se forme brillamment :
-
Ingénieur en biochimie alimentaire à Berlin,
-
Diplômé en commerce à Berlin-Est,
-
Spécialiste en production laitière en Hollande.
Il travaille chez Unilever à Amsterdam, mais reste profondément attaché à son pays. De retour au Cameroun en 1972, il est brièvement emprisonné puis relâché en 1975. Commence alors une autre forme de combat : celui de l’industrialisation nationale.
Entre 1976 et 1979, il dirige plusieurs entreprises avant de créer :
-
La Boulangerie de Bastos
-
Camyaourt (yaourts)
-
Glacier Dolce & Freddo (glaces)
-
HELEPAC (emballages plastiques)
Mais son projet-phare, son rêve industriel, prend forme en 1986 avec SAPLAIT : première entreprise camerounaise à transformer du lait localement en produits dérivés (yaourts, fromages, beurres). Le succès est immense. SAPLAIT devient un symbole de fierté nationale, couronné par le Trophée International de l’Alimentation à Barcelone en 1988.
Un succès insupportable pour le régime
Henri Tame utilise ses revenus pour soutenir l’opposition politique durant les années de braise. Cette audace ne plaît pas au pouvoir en place.
Le 8 juillet 1992, René Owona, ministre de l’Industrie, demande à son collègue de la Santé de "créer une situation" contre SAPLAIT. Le 18 août 1992, l'entreprise est suspendue pour faux motifs de contamination bactérienne. Une campagne de terreur médiatique s’en suit : rumeurs de décès d’enfants, fausses alertes sanitaires, boycotts orchestrés par l'État.
Résultat :
-
Stocks détruits
-
Production arrêtée
-
1000 emplois supprimés
Henri tente de défendre son entreprise, mais SAPLAIT ne s’en remettra jamais. L’État a gagné cette bataille économique. Mais pas la guerre morale.
La résilience d’un homme libre
Malgré le sabotage, Henri rebondit. Il lance Sotramilk à Bamenda (1994-2008), puis fonde Wood & Metal Company à Douala en 2012. Jusqu’à son dernier souffle, il continue d’investir, de créer, de croire. Il s’éteint le 18 mai 2021 à Yaoundé, debout dans ses convictions, fidèle à son idéal républicain.
Un martyr économique parmi tant d’autres
Henri Tame Soumedjong n’était pas seul. Des figures comme Joseph Kadji Defosso ont également subi redressements fiscaux ciblés et campagnes de déstabilisation pour leur soutien à l’opposition. Au Cameroun, la répression économique est devenue une arme politique, un outil de neutralisation silencieuse des dissidents.
Conclusion : Que reste-t-il de son héritage ?
Henri Tame Soumedjong était plus qu’un industriel. Il était un patriote, un bâtisseur, un résistant. L’histoire camerounaise doit lui accorder la place qu’il mérite : celle des héros silencieux, de ceux qui ont sacrifié leur fortune pour rester debout.
Dans un pays où l’on persécute ceux qui créent au lieu de les célébrer, son parcours reste un cri de vérité, un appel à la mémoire, et un modèle pour les générations futures.
Source: Arol KETCH
Rat des archives.
28.04.2025
What's Your Reaction?






